Intégration sous-régionale en Afrique Central: un parcours de combattant

Publié le par lucoluco

INTERVIEW DE MONSIEUR EDJIMBI ABENG SIMON, SOUS-PREFET DE L’ARRONDISSEMENT DE KYE-OSSI SUR LA QUESTION DE LA FRONTIERE TERRESTRE ENTRE LA GUINEE EQUATORIALE ET LA CAMEROUN.

Monsieur EDJIMBI ABENG Simon est le Sous-Préfet de l’Arrondissement de Kyé-Ossi depuis Mai 2013, à ce titre il peut suffisamment éclairer l’opinion publique sur la gestion de la frontière terrestre entre la Guinée Equatoriale et le Cameroun dans son territoire de commandement avant et après le premier janvier 2014, début de la « fermeture de ladite frontière terrestre côté équato-guinéen.

Monsieur le Sous-Préfet, quelles sont les origines de la fermeture de la frontière terrestre entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale au niveau de Kyé-Ossi ?

Merci, je voudrais d’abord lever une équivoque, pour dire que la frontière avec la République sœur de Guinée Equatoriale n’est pas fermée. Il y a juste eu depuis le 1er janvier de l’année en cours, un renforcement des mesures en matière d’immigration décidées par les autorités équato-guinéennes. Tout simplement pour rappeler que, ceux qui ne sont pas de nationalité guinéenne et qui ont envie d’aller dans ce pays, doivent se munir de tous les papiers nécessaires. Donc la frontière n’est en fait fermée que pour ceux qui ne sont pas en règle, qui n’ont pas de papier comme on dit vulgairement.
L’impression de la fermeture vient de ce qu’avant le 1er janvier 2014, ces papiers n’étaient pas exigés, notamment aux populations riveraines de la frontière qui voulaient se rendre à EBEBEYINE, pour ne prendre que ce cas, il leur était laissé la possibilité de passer sur simple présentation de la carte nationale d’identité. Mais il faut relever que pour aller au-delà d’EBEBEYINE, se rendre par exemple à Mengomo ou à Malabo, il leur était demandé le passeport, le visa et la carte de séjour. Donc le changement intervenu le premier janvier porte au niveau de ce que désormais, pour accéder en Guinée Equatoriale venant de chez nous, il faut avoir le passeport et autres pièces nécessaires. Donc la frontière n’est pas fermée.
Dès lors, concernant les origines, je dis que ce sont les mesures que l’Etat guinéen prend souverainement, c’est un Etat souverain et cet Etat est dans son rôle de décider par exemple qu’il y ai un peu plus de renforcement au niveau de la fluctuation des entrées dans ce pays. Donc officiellement, les raisons ne nous ont jamais été données. Mais nous estimons que ces raisons-là existent, par ce que cela ne peut pas être décidé légèrement de la part des autorités équato-guinéenne, cela peut tenir à la volonté de sécuriser davantage le pays, cela peut également tenir de la nécessité observée par les autorités équato-guinéenne de faire en sorte que le tissu économique, qu’ils disent encore embryonnaire soit beaucoup plus maîtrisé et gérer au mieux les flux qui peuvent venir des pays comme le Cameroun. Ce sont des hypothèses qui sont avancées comme cela, mais de manière officielle aucune explication, encore que je crois que tout souverainement cet Etat n’a pas besoin de s’expliquer forcement là-dessus. Aussi nous nous accommodons. Et puis, les choses vont quand même en s’améliorant depuis un certain temps. Il y a comme un traitement, je ne dirai pas discriminatoire, mais ce sont un peu des occasions d’assoupissement qu’on enregistre. En effet il y a de plus en plus une certaine catégorie d’étrangers qu’on admet depuis quelques semaines, parfois sans avoir à leur demander des papiers comme on dit vulgairement.

Vous dites qu’une certaine catégorie d’étranger (camerounais) sont admis depuis un certain temps, lesquels ?

Parlant des camerounais qui vont en Guinée Equatoriale et la frontière de Kyé-Ossi, il faut savoir que même quand la frontière était rigoureusement « fermée », on laissait quand même la possibilité aux autorités de la frontière de traverser de temps en temps sans qu’il leur soit forcement exigé un passeport ou un visas. Et depuis un certain temps, il y a une certaine catégorie d’opérateurs économiques qui sont acceptés au passage de la frontière sans avoir à présenter les papiers.
Alors, ce traitement discriminatoire peu bien s’expliquer par ceci que, si ces opérateurs économiques passent, c’est pour ravitailler les marchés hôtes. Et c’est des gens qui transportent généralement la marchandise (les vivres, les matériaux de construction, etc). Donc ceux-là ont un traitement beaucoup plus privilégié les dispensant de la présentation des papiers.

Dans ce cas que dire de la situation de la CEMAC dans ce contexte où les passeports et visas sont exigés aux citoyens de cette zone pour accéder à un pays membre de cette organisation sous régionale ? Quelles sont les impacts d’une telle situation sur le marché de Kyé-Ossi qui visiblement semble dépendre de cette frontière ?

Je réponds en tant que citoyen de la zone CEMAC et non en tant qu’autorité, puisque la CEMAC dépasse la compétence d’un Sous-Préfet.
La CEMAC a bien de beaux jours devant elle. Ce qui se passe avec la Guinée Equatoriale n’est pas un cas marginal dans cette zone. En effet les avancés les plus notables dans le sens de la libre circulation des personnes et des biens ne sont notés qu’au niveau du Cameroun et peut- être du Congo. Les autres pays ne font pas mieux que ce que vous décriez dans la relation avec notre voisin aujourd’hui. Cependant il y a lieu d’espérer, par ce que c’est un mouvement qui va charrier beaucoup d’avantages. Mais pour mieux affronter cette situation, certains pays ont besoins de mieux s’apprêter pour gérer au mieux le flux des personnes et des biens envisagés dans ce cadre par rapport à leur économie nationale. Je voudrai donc comprendre qu’en face, peut-être la réflexion n’ait pas encore été suffisamment mûrit et qu’il leur faille encore se préparer.
Au niveau local, il est bien clair que le marché de Kyé-Ossi est un marché de transit, un marché dont la vocation régionale est avérée. Donc c’est un marché qui draine un fort taux d’échanges commerciaux aussi bien entre nos concitoyens et les citoyens équato-guinéens qu’entre nos concitoyens et les citoyens gabonais. Par conséquent, lorsque la libre circulation des personnes et des biens se complique, comme c’est le cas avec la Guinée Equatoriale, il y a bien de raisons de penser que ce marché prend un coup. En effet, Kyé-Ossi vivait, et vit d’ailleurs toujours, de sa proximité avec le Gabon et la Guinée Equatoriale. Lesquels pays vivent, à bien des égards, du marché de Kyé-Ossi. Donc quand certaines mesures viennent compliquer la fluidité de ces rapports, c’est de part et d’autre de la frontière que l’économie souffre.
Aujourd’hui on a l’impression que le marché de Kyé-Ossi veut se délocaliser. Mais cela n’a pas beaucoup de chance d’arriver. Mais il faut comprendre que si le marché de Kyé-Ossi n’arrive plus à ravitailler ses cibles principales, beaucoup de gens en souffrent de part et d’autre de la frontière. Par conséquent même l’économie de ces pays en souffre. Par exemple, pour ne prendre que le cas d’EBEBIYINE (première ville de Guinée Equatoriale après la frontière), on a parfois enregistré des états d’âme de la part des populations de ce côté, qui semble ne pas comprendre pourquoi l’accès au « marché d’Akombang » (c’est ainsi qu’ils appellent le marché de Kyé-Ossi là-bas) leur est désormais compliqué.
Mais il semble que cette situation ne va pas durer longtemps.

OK. En lisant la presse et en écoutant les informations, on a pu se rendre compte que la Guinée Equatoriale refoule beaucoup de camerounais. Alors quel est le flux de camerounais refoulés chaque jour, chaque semaine ou par mois ?

Disons que le refoulement tel que nous l’enregistrons, je parle de celui des camerounais, est en moyenne d’une dizaine de compatriotes par semaine. Mais on a également observé que ce sont presque toujours les mêmes personnes qui sont refoulés. Autrement dit, la plupart des refoulés réussissent tant bien que mal à s’infiltrer à nouveau en Guinée Equatorial après leur refoulement, donc ils sont pratiquement à l’aise dans ce « sport », appelons-le ainsi. Toutefois il n’y a pas que les camerounais qui sont refoulés, même si malheureusement ils sont souvent les plus nombreux à se retrouver dans ce pays, du fait de la proximité territoriale, culturelle et autre. Nos compatriotes arrivent souvent en compagnie d’africains d’autres régions. C’est le cas de ceux de l’Afrique de l’Ouest qui sont souvent aussi nombreux.
Dans le cadre de l’exécution de la haute mission que le Chef de l’Etat, Son Excellence Paul BIYA, a bien voulu nous confier, nous ne cessons de dire à nos compatriotes qu’il est bon pour chacun de comprendre que les autorités de la Guinée Equatoriale ont pris des mesures pour n’accepter chez eux que ceux qui disposes des « papiers » requis. Dès lors, ceux qui se rendent dans ce pays sans ces « papiers » s’exposent au refoulement. Et c’est ce qui s’applique, même si la plupart des autochtones de Kyé-Ossi trouvent qu’il n’y a pas de raisons que les papiers leurs soient demandés par ce qu’ils ont quasiment « un pied » en Guinée Equatoriale du point de vue familial. C’est pourquoi ceux-ci prennent très mal le fait que, parce qu’ils sont camerounais, ils ne puissent plus librement rendre visite à un membre de la famille qui se trouve être un équato-guinéen.
Bref le refoulement n’est pas une fantaisie, c’est une réalité. Mais tant que la République sœur de Guinée Equatorial oppose à tout étranger, la disposition des passeports, visas et autres, il appartient à chacun de s’y conformer.

Maintenant Monsieur le Sous-Préfet, que pouvez-vous nous dire de l’anecdotique histoire de l’œuvre d’art mal exécutée par un opérateur économique camerounais qui aurait failli virer à l’incident diplomatique entre notre pays et la Guinée Equatoriale ? Cette histoire serait-elle à l’origine du durcissement des rapports entre les deux pays ?

Non, non. Des anecdotes, il en existera toujours. Ce qu’il faut tout simplement dire c’est que cette histoire a existé en son temps. Il s’agissait en effet d’un marché qui aurait été passé entre un dignitaire équato-guinéen et un homme d’affaire camerounais, autrefois basé à Kyé-ossi, contre payement intégral d’une somme de douze millions de francs CFA. Le marché consistait pour le compatriote à sculpter un buste du Président de la Guinée Equatoriale, que l’auteur de la commande voulait offrir audit Président. Ledit marché a été mal exécuté en ce que l’homme d’affaire n’a livré au final, qu’une pure caricature du susnommé. Cela a naturellement irrité le dignitaire qui voulait certainement être remboursé. Malheureusement son partenaire camerounais a fondu dans la nature. Ce qui avait alors provoqué un refroidissement des relations d’affaires. La situation a failli tourner à l’incident diplomatique. Des pêcheurs en eaux troubles ont évidemment profité de cette petite fronde pour estimer qu’il fallait faire payer cette outrecuidance aux camerounais présents en Guinée Equatoriale. Mais heureusement tout a pu rentrer dans l’ordre et cette histoire est rentrée dans la rubrique des faits divers.
Photo de Afrika power, Africa brains.
Photo de Afrika power, Africa brains.

 

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